« Moi » de mai 68, un joyeux bordel !
Eh oui, il faut bien le dire, mai 68 fut surtout un joyeux bordel…Plus d’essence, mais de l’existence, et des sens déchaînés.
Ainsi, Jean-Paul Sartre, appliquant à la lettre le slogan situationniste : « Vivre sans temps mort et jouir sans entrave » :
Mais, il l’appelait « Castor », non ?— Je sais, mais là, ça risquait de prêter à confusion…
Je disais donc : plus d’essence, plus d’autos dans les rues de Paris. Ambiance étonnante, difficile à imaginer de nos jours. En plein milieu des boulevards, des groupes discutaient passionnément sur la meilleure façon de changer le monde ; il est probable qu’en ces terroirs universitaires historiques, il s’est dit en 15 jours plus de sottises qu’en un siècle de blablas estudiantins. Je l’avoue, je fis partie de ces bavards approximatifs, mais je dois reconnaître une certaine nostalgie de ce Paris-là, exalté, fraternel et convivial (voir poème en fin de billet)A propos de sottise évoquée plus haut , j’étais à l’époque embrigadé dans un groupe trotskiste (par anti-stalinisme et immaturité politique, circonstances légèrement atténuantes), et qui plus est, chez les trotskistes parmi les plus c… , puisqu’il s’agissait de la FER (Fédération des Etudiants Révolutionnaires) . Je me rappelle la dernière réunion à laquelle j’aie assisté : sur l’estrade, on disait la « messe », proférant l’évangile selon St Lambert, à base de paraboles nourries de faits tronqués, de langue de bois au service d’une foi totalitaire. Au pied de l’estrade, aux deux extrémités, se tenaient, tels les gardiens du temple, de redoutables militants, bras croisés à brassard rouge, mentons dressés à la Mussolini, et le regard tourné vers la ligne rouge des lendemains qui chantent l’Internationale et la Carmagnole. Et qui déchantent. Vraiment redoutables ! Il ne leur manquait que la kalachnikov.Alors, j’ai enfin compris à qui j’avais affaire, une bande de redoutables manichéens manipulateurs (« fascisti rossi« , fascistes rouges, disent les Italiens) et j’ai fui vers des horizons plus modérés où l’on ne fait pas « du passé table rase »…Cela dit « Qui n’est pas révolutionnaire à vingt ans manque de cœur, qui le demeure à quarante est un imbécile« , a déclaré Clémenceau. S’il a la télé au paradis , il doit bien rigoler. Ou pester.Quelques souvenirs en vrac…Une assemblée générale, comme il y en eut tant, de celles où l’on se réunissait uniquement pour décider la date et l’heure de la prochaine A.G. ! Au cours de l’une d’entre elles, une étudiante , dans un grand moment de lyrisme militant, déclare que pour faire passer les infos, il suffit de compter sur le « bouche à bouche » ! Grosse rigolade dans une assemblée où l’humour était aussi rare que les « fachos » dans la cour de la Sorbonne. Même si , régulièrement, quelques excités d’extrême-droite venaient en commando défier (avec un certain succès) les groupuscules anarchistes, marxoïdes ou tout simplement badauïdes qui y tenaient le haut des pavés avant d’aller les lancer sur les CRS …L’un de ces soirs enfiévrés, boulevard St Germain, « round midnight », on voit se pointer José Artur : il est vite entouré d’un groupe qui l’interroge : « Alors, l’ORTF, ça y est ? En grève ? » Il acquiesce et se lance dans une longue discussion où il apparaît qu’il est plus suiviste que convaincu. Comme beaucoup d’autres !Un soir de barricades, Annie et moi étions installés dans un resto à couscous de la rue de la Harpe, au Quartier Latin… Peu après notre installation, arrive au bout de la rue un groupe de manifestants , à l’autre bout, les CRS . Dans la salle, nous avons commencé à ressentir d’étranges sensations, et puis, assez, vite, tout le monde se mit, non pas à pédaler, mais à pleurer dans la semoule : le vasistas du resto était ouvert, laissant passer généreusement les gaz lacrymogènes destinés à calmer ces quelques « enragés » de service. Spectacle quasi surréaliste : une salle entière de restaurant en train de pleurer et de rigoler tout à la fois, amusée par le caractère cocasse de la situation.Après le resto, pour retourner rue de Sèvres, nous avons dû faire un grand détour par la rive droite, contournant au passage quelques barricades encore en flammes. Pas de doute, c’était photogénique … mais je n’ai jamais tiré les négatifs n&b pris en ce joli mois de mai * !Grand détour à pied donc, sans essence, mais … les « sens déchaînés » !(* Je les publierai dans 60 ans, pour le 100 e anniversaire).
Il faudrait aussi parler de la manif de Charléty, le 27 mai, des militants à drapeau noir ou rouge faisant le tour de piste pendant que des politiciens défraîchis se faisaient tour à tour huer et applaudir. Sacré bordel, là aussi !Évoquer aussi Mouna alias « Aguigui 1er », célèbre figure pittoresque du Quartier Latin, faisant son numéro devant l’Odéon, avec son chapeau « Renaissance » multifonction : d’un côté « Calvin gai » de l’autre « Calvin triste ». Un déroutant mélange de délire dadaïste et de clairvoyance politique et écolo (avant la mode).
Quelques mots à propos des slogans tant vantés, diffusés par une poignée d’ affichistes des Beaux-Arts. On a retenu évidemment les justement célèbres : « Sous les pavés, la plage« , « L’imagination prend le pouvoir« , « Soyez réalistes, demandez l’impossible« , « Prenez vos désirs pour la réalité », mais outre les immondices comparant de Gaulle à Hitler, il en eut aussi une majorité de très cons ou scandaleux, (annonciateurs de toutes les dérives post-soixante-huitardes ) du genre :« Crève, salope » , à propos de l’Université / « CRS = SS » / « Laissez la peur du rouge aux bêtes à cornes« . /« Ne travaillez jamais« .Et ces deux immenses crétineries, largement appliquées depuis par cette génération et sa progéniture fort mal éduquée à domicile et à l’école :« Il est interdit d’interdire » / « Ne vous emmerdez plus, emmerdez plutôt les autres« ,Pour en finir avec ce « moi » de mai, voici une redif’ : le poème nostalgique annoncé au début de ce billet.Je l’avais écrit en 98 pour un concours proposé par Télérama , à l’occasion du 30 e anniversaire qu’on était déjà sommé de célébrer. Il n’a pas eu l’heur de plaire à la rédaction.
Pas assez « soixante-huitard demeuré », sans doute !_______________1968 année exotique .Te souviens-tu, ma villeDe ces slogans naïfsDe ces slogans sublimesEclosant sur les mursEn poèmes anonymes…Et du Quartier LatinLivré aux illusions :Mouna prophétisantPlace de l’Odéon.En Sorbonne investiePar la cour des oraclesNous échangions nos rêvesNous croyions aux miracles…T’en souviens-tu ?Nous avions à peine plusDe vingt ans, et l’envieQue ce fûtLe bel âge de notre vie…Mais les rues dépavéesDe bonnes intentionsSe virent asphaltéesPar nos désillusions…—————Autre billet sur le « moi » de mai : « Mon bête-isier »
Vois-tu, les rues dépavées de bonnes intentions
Ont fini récupérées de mauvaise façon…
J\’aime bien ton poème et aussi ta citation Georgienne… LOL
On a jamais autant patiné dans la semoule.
Bises et à bientôt. Rosine
J\’espère que tu as pu finir tes merguez… Tu as l\’air de bien connaitre l\’historique de cette révolution, est-ce depuis (ou à cause de) Mai 68 qu\’on a mis autant de jours fériés ce mois-là ? C\’est devenu très difficile d\’assurer un suivi dans les grèves et de mobiliser les gens quand il y a :
– La fête du travail.
– L\’ascension.
– La victoire de 1945.
– La pentecôte…
:0)
Oui, les deux slogans dévastateurs continuent à faire des victimes ….
Il est tjours vivant Mouna ? Je l\’ai croisé quelquefois moi aussi (après 68), au Quartier latin.
Ta description de la réunion avec les gardiens du temple m\’évoque quelques réunions maoistes auxquelles j\’ai dû assister par amour de mon compagnon de l\’époque .. Faut-il être cruche … hi
Je n’ai pas connu le printemps 68, because, mes parents se
sont rencontrés cette année là sur les barricades…l’année d’après, au printemps
69, je poussais mon premier cri. Je ne suis donc pas suffisamment qualifiée
pour émettre une opinion sur ce sujet, mais avec le recul, les différents
témoignages des personnes de ma génération dont les parents, eux aussi, étaient
à l’époque militants et ma propre expérience…je me permets juste de dire que nous
en avons récolté malgré nous, un certain chaos. Tu le dis toi-même : " cette génération et sa progéniture fort mal éduquée à domicile et à l’école ", rebecause " Il est interdit d’interdire ", même si je l’avoue crétine
que je suis, le slogan me plait bien. Mes parents ont été mauvais éducateurs et
c’est sans " re-pères " que j’ai dû plus tard me démener pour élever
mon fils. Alors merci maman Dolto et papa Freud…voilà c’était Nalypipelette…bises…
en effet , le poème n\’est pas assez intellectuel pour télérama ! il est trop clair, il ne mélange pas assez les boyaux de la tête de ceux qui le lisent, vous n\’aviez aucune chance !
Je poursuis sur les slogans, mon frère aîné avait écrit sur sa besace militaire (paradoxalement tendance à l\’ époque) "l\’art c\’ est de la merde" ce qui ne l\’a pas empêché de faire une école de dessin un peu plus tard… j\’ étais un peu jeune pour participer , mais j\’ ai ressenti l\’ effervescence qui régnait et une exaltation qui me transportait.
"L\’ enfer est pavé de bonnes intentions" est tout de même une maxime d\’ un des plus grands intellectuels de l\’ époque…
La fin de ton poème est bien trop réaliste pour coller à l\’ esprit 68!
Pour ma part je garde un souvenir d\’espoir, j\’avais à peine 20 ans et travaillais déjà depuis un bon nombre d\’années(7ans exactement), mais ce fut aussi une prise de conscience d\’imaginer pouvoir changer certaines choses, mais il faut bien avouer je suis une grande rêveuse..
à l\’époque je ne connaissais rien de la politique, ni de la vie d\’ailleurs, à part bosser !! alors c\’est vrai que ces années ont comptées pour moi…. embarquée dans un groupe de maoiste, j\’ai assez vite compris aussi le fonctionnement… toi tu bosses et nous les têtes pensantes nous réfléchissons…grrrrrr
Malgré tout je ne m\’en suis pas trop mal sortie, je pense par moi même ce qui me convient très bien.
pour Chananna: Mouna est mort il y a une dizaine d\’années. je l\’avais croisé par hasard quelques mois avant du coté de l\’avenue Trudaine… il était grognon..
Charlie: la F.E.R.!! ah oui, t\’as pas fait dans la dentelle…..
J\’étais pas en France à cette époque … Quels regrets !
mais il est interdit d\’interdire, ça j\’en usais, en abusais …
j\’avais brodé sur mon jean : peace and love, la fleur aux dents …
j\’etais à des milles des pavés, mais j\’en avais plein la tête
Pour sûr que j\’en aurais "dégommé" quelques un aussi …
Entre Anar et CRS , la modération était la meilleure place. On a trop modéré nos progénitures qui n\’ont pas la rage au ventre comme nous l\’avions, nous, enfants de parents ayant subi la guerre et ses atrocités.
Sous l\’asphalte, oui … que de désillusions !
J\’aime bien cette phrase de Clemenceau … sinon, je demandais du vécu de l\’épqoue, en voilà … merci et ravie de ce retour
Je ne peux pas partager tes souvenirs Charlie mais je trouve ton poème magnifique! Touchant. Bjs de Caiçara
Parmis les slogans 68 tards j\’aime biens ceux-ci:-Je préfère le vin d\’ici à l\’eau de là -Ne prenez pas le métro, prenez le pouvoir.-Mieux vaut être actif aujourd\’hui que radioactif demain.-Lisez le Mouna-Freres et retirez-vous dans un Mouna-stère ou on boira de la li-mounade…! Voilà, c\’est tout pour ce soir. Bisouxxxxx
Me revoilà, et j\’ai relu ton poème. Pas tout le billet parce que j\’avais déjà lu. J\’aurais vraiment voulu vivre ces événements.
J’avais 11 ans ! un vrai plaisir cette lecture ! merci Charlie ! 😉
j’avais 12 ans , et j’habitais dans le Val de Marne … J’ai gardé quelques souvenirs de cette période 🙂
merci Charlie , pour ce billet
le poème me plait bien …